Quand je me suis aperçu que l'ado que j'étais n'était pas grosse

Selon le journal intime que je tenais dans mon enfance, la première qualification de mon corps par le terme "grosse" date de ma classe de CM2. J'étais en cours de judo, et mon ami Alexis s'est dirigé vers moi en clamant : "Je m'occupe de la grosse !". J't'en veux pas Alexis, moi aussi je me moquais d'un de mes copains en l'appelant Sumo au lieu de Simon. Il n'y a pas que les minces qui peuvent être grossophobes. 

C'est mon souvenir le plus lointain, mais je m'en suis coltiné, des remarques sur mon poids. Des piques mesquines à celles qui se déguisent derrière la bienveillance. C'est ainsi que je me suis construit mon identité de fille grosse. Depuis, sûrement, cet âge de 11 ans. 

J'ai donc grandi avec une image de moi branlante, et surtout, très négative. Je ne peux pas nier qu'il y ait une part de responsabilité à donner à mes parents et à ma personnalité à moi, C., peu sûre d'elle sur tous les points, et pas forcément seulement par rapport à l'image de son corps. 

Mais je ne peux pas nier que ce que la société m'a renvoyé en pleines dents ait participé à creuser ce trou béant dans mon estime de moi. 

C'est aujourd'hui que je m'aperçois que la grossophobie peut faire des prouesses, au point de biaiser le regard que l'on porte sur soi-même. J'ai revu des photos de moi collégienne et lycéenne. A l'époque où je pensais que j'étais si grosse que je ne pourrais plaire à aucun garçon. A l'époque où je devais me préparer psychologiquement avant de découvrir des photos de moi. 

Alors hier, quand j'ai double cliqué sur le dossier "Photos <3" enregistré dans le vieux PC de mes parents, j'ai cru que j'allais retrouver une C. dont le visage prend les trois quarts de l'image et dont le corps mesure le double de celui de ses amies. 

Que nenni. Sur ces photographies, je suis... mince. Bon, je fais bien déjà un bon bonnet D, parce que mes seins n'ont pas attendu le gras pour pousser comme des ballons. Mais mes hanches semblent rentrer dans quoi, un 40 ? A tout casser. Je mets des pulls moulants et des décolletés qui me dessinent un ventre plutôt plat. J'ai les traits un peu gonflés mais rien d'extraordinaire. 


- Lady Bird -


Je suis au courant que notre regard est toujours soumis à la subjectivité, qu'on porte en quelque sorte des lunettes aux verres pas vraiment valorisants, un poil déformants. 

Mais il est quand même difficile pour moi de découvrir ces photos. Merde, comment on a pu me faire croire que j'étais énorme à ce point ? L'identité qu'on m'a forcée à me construire, cette case dans laquelle j'ai planté mes deux pieds par pression des autres partait d'une idée fausse. Je n'étais pas grosse. 

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